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15 Apr

Mon champ

Publié par Frère Jean-François

(Inspiré de l'Évangile--Mt 13,44)

Longtemps j’ai travaillé sans bonheur dans mon champ parce que je n’aimais pas mon champ! Je ne le trouvais pas assez large, pas assez profond et sans bel arbre magnifique qui fait qu’un champ a du panache. Quelques zones de pierres et de ronces achevaient de me rendre amer et déçu pour mon champ.

En fait, ce n’était pas mon champ. J’y travaillais à titre d’employé. Le propriétaire du champ m’avait dit un jour : « Frère, comme je ne suis plus jeune et que je n’ai pas d’enfant j’ai pensé que je pourrais te vendre mon champ à bon prix! » Je n’arrivais pas à me décider à l’acheter car je ne l’aimais pas. Je continuais à y travailler en rêvant à d’autres champs, plus beaux, plus grands, plus nobles,…

Vers la fin d’une journée de travail, en bêchant j’ai frappé une surface dure en me disant, une fois de plus, que je n’avais vraiment pas de chance de travailler dans ce champ. Tandis que je m’éreintais à dégager cette nouvelle pierre, je m’aperçu que c’était plutôt comme une surface, comme une grande pierre plate. J’en ressentais de l’injustice. En dégageant cette surface à la pelle je découvris qu’il s’agissait d’un coffre en pierre. Je n’en croyais pas mes yeux. Cette fois, un sentiment d’espérance envahit mon cœur. Que peut bien contenir ce coffre dont j’étais en train de dégager la base? Il était magnifique. En soulevant son couvercle je fus éblouie par son contenu. Ce qui s’offrit à mes yeux relève presque du conte légendaire. Il était rempli de pierres précieuses de toutes sortes, rubis, diamants, perles et autres, ainsi que de très nombreuses pièces d’or. Une immense fortune, ais-je pensé! J’étais transporté de joie.

Soudain, me rappelant que tout cela ne m’appartenait pas, – puisque je n’étais pas encore propriétaire de mon champ—je décidais aussitôt de refermer le coffre, de le remblayer afin que rien n’y paraisse, espérant que personne ne m’avait vu. Le lendemain, je fis l’évaluation de tout mon avoir et je me rendis chez mon propriétaire. Je lui dis qu’après avoir bien réfléchi, j’avais décidé d’accepter son offre, d’acheter son champ. Mon propriétaire se montra à peine surpris de mon changement d’idée. En fait, il était heureux car il m’aimait bien, me considérant comme son propre fils. Alors, nous avons ensemble rédigé les papiers de vente et je devins propriétaire en règle du champ.

Peu de temps après, mon (ancien) propriétaire mourut. Je pris le temps de lui faire mes meilleurs adieux et je retournai à mon champ. Je fus alors surpris de constater que mon regard envers mon champ avait changé. Je l’aimais davantage. Pourtant, c’était le même champ, mais je savais maintenant qu’il contenait un trésor inestimable et cette pensée me réjouissait le cœur. Je décidai donc de continuer à travailler dans mon champ, d’aménager un accès à son trésor tout en le protégeant des voleurs. Ainsi, je pouvais y retourner régulièrement pour y puiser de nouvelles forces et de l’amour pour mon champ.

Je me suis mis aussi à penser aux autres propriétaires de champs de la région et à aller les visiter. Je me suis aperçu que nombre d’entre eux avaient aussi de la difficulté à aimer leurs champs, même s’ils étaient beaucoup plus grands et beaux que le mien. À les écouter, il manquait toujours quelque chose à leurs champs. Pour l’un c’était une clôture, pour l’autre une grange, pour un troisième un lac, etc. Je leur ai alors parlé du trésor de mon champ. Beaucoup ne me croyaient pas. Certains m’ont dit qu’ils me croiraient s’ils le verraient. Mais je n’ai pas voulu le leur montrer. Quelques-uns enfin m’ont cru et je me suis dit que, peut-être, eux aussi avaient trouvé un trésor dans leurs champs. Plus je parlais avec ces derniers, plus j’étais convaincu qu’ils possédaient, dans leurs champs, un trésor tout semblable au mien.

L’autre jour, je me suis surpris à éprouver encore de la tristesse envers mon champ, à repenser à son étroitesse, à son manque de profondeur, à son absence de grand arbre superbe, etc. Mais, aussitôt, j’ai repensé à son trésor et la joie est vite revenue. Puis, le soir venu, je suis allé dans le lieu aménagé pour mon trésor et, ouvrant à nouveau le couvercle du coffre, je l’ai longuement contemplé. En retournant à la maison je me sentais plein d’espérance et d’amour pour mon champ et pour tous les champs de la région.

Alors les paroles du poète me sont revenues :

Le roi et la reine perdront leur manant Mais l’amour m’enchaîne, perderais-je ma peine Le roi et la reine perdront leur manant Perdrerais-je ma peine, perdrerais-je mon temps… (« J’ai planté un chêne » de Gilles Vigneault)

Voilà ce que mon champ et son trésor m’ont appris : c’est l’amour qui donne le bonheur dans la vie et le travail de l’être humain. C’est donc cet amour qu’il faut cultiver afin qu’il grandisse et que vienne le temps de la récolte. Désormais, me suis-je répété avant de m’endormir, c’est l’amour qui m’enchaîne…

Frère Jean-François

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